Le Conseil constitutionnel a proclamé les résultats définitifs de l'élection présidentielle du 25 octobre 2025, mais la légitimité du scrutin vacille sous le poids d'une abstention massive sans précédent dans l'histoire du pays.
Le 4 novembre 2025, dans une atmosphère électrique, le Conseil constitutionnel ivoirien a officialisé les résultats d'une élection qui restera dans les mémoires pour de mauvaises raisons. Derrière les chiffres officiels et les procédures formelles se cache une réalité troublante. La moitié du peuple ivoirien a refusé de participer au scrutin, transformant ce qui devait être une célébration démocratique en symptôme d'une crise profonde.
La Commission électorale indépendante (CEI), dirigée par Ibrahime Kuibiert Coulibaly, avait annoncé un taux de participation de 48,23 %. Mais ce chiffre, déjà catastrophique, masque une réalité encore plus sombre révélée par le Parti des peuples africains-Côte d'Ivoire (PPA-CI). Selon les observations de terrain menées par des organisations citoyennes et des journalistes indépendants, la participation réelle oscillerait entre 8 et 12 % dans plusieurs régions du pays.
Les chiffres communiqués par le PPA-CI dressent un tableau accablant. Dans le Nord du pays, présenté comme un bastion du pouvoir, la participation n'aurait pas dépassé 25 %. A Abidjan, capitale économique représentant plus du tiers de l'électorat national, l'abstention record de 88 % dans certaines communes témoigne d'un rejet massif. Dans les régions du Gbêkê et du Hambol, seulement 12 % des électeurs se seraient déplacés. Plus dramatique encore, à Yamoussoukro, la capitale politique, à peine 7 % de participation aurait été enregistrée.
Cette abstention massive n'est pas le fruit du hasard. Elle représente l'aboutissement d'un boycott orchestré par l'opposition, menée notamment par Laurent Gbagbo et ses alliés, qui ont appelé les Ivoiriens à déserter les urnes. Le mot d'ordre a circulé sans tract officiel ni meeting enflammé, porté par les réseaux sociaux et les conversations quotidiennes. Le peuple a répondu présent... par son absence.
Pour le PPA-CI, cette situation constitue une violation flagrante de la Constitution, qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Le parti dénonce un "simulacre d'élection" et un "coup d'État civil", déclarant illégitime le maintien au pouvoir d'Alassane Ouattara à l'issue d'un scrutin « verrouillé et joué d'avance, de surcroît largement boudé par les Ivoiriens ».
La jeunesse ivoirienne, force vive du pays, a été le fer de lance de ce boycott. Connectée, informée et consciente des réalités continentales, elle a choisi l'abstention comme arme de résistance pacifique. « Nous avons voté avec nos pieds en restant à la maison », ironise-t-on dans les quartiers populaires d'Abidjan. Cette génération refuse de cautionner un système qu'elle juge corrompu et déconnecté de ses aspirations.
Les conséquences de cette crise de légitimité dépassent les frontières ivoiriennes. La CEDEAO et l'Union africaine observent avec inquiétude, conscientes qu'un précédent est en train de s'établir. Comment valider démocratiquement un scrutin massivement rejeté ? Comment proclamer une victoire quand la majorité du corps électoral a tourné le dos ?
Le PPA-CI exige désormais le rétablissement de l'ordre constitutionnel à travers l'organisation d'élections libres, transparentes et inclusives, la libération des personnes arrêtées pour avoir manifesté contre ce qu'il qualifie de « coup de force », et l'ouverture d'enquêtes indépendantes sur les violences et exactions commises contre les populations civiles.
Alassane Ouattara peut proclamer sa victoire, mais une question demeure : peut-on gouverner légitimement un pays dont la moitié de la population a refusé de choisir ?
Robert Krasssault
ciurbaine@yahoo.fr