Dans la chaleur étouffante d'un après-midi de mai, le Centre d'action culturelle d'Abobo bourdonne d'une énergie particulière. Ce 1er mai 2025, jour symbolique de lutte et de revendications sociales, le Front populaire ivoirien (FPI) y tient sa première session extraordinaire de la Conférence régionale du Conseil politique régional (CPR) Abidjan 2A. Baptisée "Conférence de la Liberté", cette réunion intervient dans un contexte électoral tendu qui pourrait redéfinir l'échiquier politique ivoirien.
Une "Conférence de la Liberté" aux ambitions claires
Il est 15h02 précises lorsque Jean-Marie Konin, Vice-président du CPR, ouvre la séance. Face à lui, une salle comble de militants et responsables locaux. Le choix du nom "Conférence de la Liberté" n'est pas anodin dans le paysage politique actuel de la Côte d'Ivoire, où les tensions autour du processus électoral à venir se cristallisent déjà.
"Ce nom reflète notre engagement continu pour les valeurs démocratiques et notre détermination à participer pleinement au processus électoral, malgré les obstacles", confie un participant à l'issue de la réunion. Dans une atmosphère où chaque mot est pesé, l'ordre du jour présenté par Assi Placide, Secrétaire général adjoint et directeur de cabinet, s'articule autour de trois points stratégiques : informations, vie du parti et divers.
La montée en puissance des femmes au sein du FPI
Le premier point abordé met en lumière un fait marquant : la mobilisation croissante des femmes au sein du parti. Kouakou Adjoua, Secrétaire nationale de Région, dresse un bilan élogieux de la Journée internationale des droits de la Femme célébrée deux mois plus tôt, le 15 mars 2025, au terrain de la SOGEFHIA d'Abobo.
L'événement aurait rassemblé entre 2.500 et 3.000 femmes selon les différentes sources, avec la participation de 42 associations féminines. "Un succès retentissant", selon les responsables du parti, qui y voient un signal fort de leur ancrage territorial, particulièrement à Abobo, longtemps considéré comme un fief difficile pour le FPI.
Cette mobilisation féminine n'est pas le fruit du hasard. Elle s'inscrit dans une stratégie plus large de conquête de l'électorat féminin, comme l'illustre l'annonce d'une célébration inédite de la fête des mères prévue pour le 31 mai 2025. "C'est la première édition, qui symbolise le rapprochement des femmes d'Abobo avec le FPI", explique Kouakou Adjoua. L'événement honorera 400 mères issues de 26 associations et du parti, avec une tombola à 5.000 FCFA qui promet d'attirer l'attention.
La contestation du processus électoral
Au cœur des discussions figure également le positionnement du parti face au processus électoral en cours. Les membres rapportent que le président du parti, Pascal Affi N'Guessan, a récemment demandé la dissolution de la Commission électorale indépendante (CEI), dénonçant "de nombreuses irrégularités observées sur la liste électorale provisoire, et le refus de la CEI d'y remédier."
Cette position contestataire s'accompagne d'une organisation stratégique pour les échéances à venir. La formation sur les stratégies électorales du 29 mars 2025, présentée par Danho Albéric, a fourni aux militants des "outils pratiques de mobilisation matérielle et financière ainsi que des stratégies de parrainage." Deux axes majeurs ont été développés : les stratégies de mobilisation des ressources et du corps électoral, et les techniques pour réussir le parrainage, condition sine qua non pour la validation des candidatures.
Le défi du parrainage : un test de l'implantation territoriale
C'est justement sur ce dernier point que la conférence a particulièrement insisté. Jean-Marie Konin a présenté les objectifs chiffrés imposés au CPR Abidjan 2A : fournir 8.400 parrains, répartis entre les différentes zones de sa juridiction, d'Abobo Est à Broffodoumé.
"Le parrainage citoyen constitue une forme de caution populaire permettant à un citoyen de soutenir la candidature d'un leader politique", a-t-il rappelé, soulignant l'importance de ce mécanisme dans le processus électoral ivoirien. Assi Placide a quant à lui insisté sur les règles strictes encadrant ce dispositif : "Un citoyen ne peut parrainer qu'un seul candidat. Le parrain doit être un électeur affirmé, convaincu du projet politique du candidat choisi."
Cette question du parrainage révèle les enjeux de l'implantation territoriale du parti. Avec des objectifs précis par zone, le FPI semble vouloir tester et démontrer sa capacité de mobilisation, particulièrement dans des quartiers comme Abobo, historiquement disputés.
Entre fête de la liberté "éclatée" et préparation électorale
La réunion a également fait état d'une "fête de la liberté 2025" organisée de manière "éclatée" cette année, "du fait du contexte politique tendu en lien avec les élections à venir." Cette adaptation tactique illustre les contraintes qui pèsent sur le parti dans sa préparation électorale.
Toutefois, la formation du 29 mars sur les stratégies électorales semble avoir redonné de l'élan aux militants. Selon le compte-rendu, elle aurait "rassemblé les membres et 19 associations de femmes, signe du partenariat croissant entre les femmes d'Abobo et le FPI." Ce rapprochement avec les associations féminines locales pourrait constituer un atout majeur dans la perspective des élections.
Un financement à consolider
En filigrane des discussions se pose la question cruciale du financement. La situation des cotisations de décembre à avril a été présentée par Yapo Pamela, qui a "encouragé l'ensemble des camarades à continuer de s'acquitter régulièrement de leurs obligations financières envers le CPR et le Parti." Une manière à peine voilée de rappeler l'importance des ressources financières dans la perspective d'une campagne électorale qui s'annonce coûteuse et disputée.
La tombola organisée pour la fête des mères, à 5.000 FCFA le ticket, s'inscrit également dans cette logique de diversification des sources de financement et de mobilisation des sympathisants.
Perspectives : l'épreuve de vérité des élections
À 16h21, après un peu plus d'une heure de discussions, la séance est levée "dans une atmosphère de satisfaction générale", selon le compte-rendu officiel. Pourtant, les défis qui attendent le FPI restent considérables.
La demande de dissolution de la CEI par Affi N'Guessan traduit une méfiance profonde envers les institutions chargées d'organiser le scrutin. La capacité du parti à mobiliser effectivement 8.400 parrains dans la seule région d'Abidjan 2A reste à démontrer. Et la concurrence d'autres formations politiques, notamment celle de l'ancien président Laurent Gbagbo, fondateur historique du FPI avant sa scission, pourrait compliquer l'équation.
Néanmoins, le dynamisme affiché lors de cette conférence, particulièrement en matière de mobilisation féminine, laisse entrevoir des perspectives intéressantes pour un parti qui cherche à renouveler son image et à élargir sa base électorale.
A l'heure où la Côte d'Ivoire se prépare à un nouveau cycle électoral, le FPI semble déterminé à jouer pleinement sa carte, en combinant contestation du processus, mobilisation de terrain et stratégies d'alliances ciblées, notamment auprès des femmes. Les prochains mois diront si cette "Conférence de la Liberté" aura été le prélude à une renaissance politique ou simplement une étape de plus dans la longue marche d'un parti en quête de son second souffle.
Robert Krassault
ciurbaine@yahoo.fr